L’Afrique vient de perdre un de ses plus grands fils en la personne du chanteur, auteur-compositeur et politicien Pascal Tabu Ley, alias Rochereau, qui rendit l’âme à Bruxelles, en Belgique, le 30 novembre 2013. Sa carrière musicale eut un tel impact sur l’Afrique au point qu’il est considéré par beaucoup d’observateurs comme la plus puissante personalité de la mère Afrique, à coté de Mobutu Sese Seko, tout au long de trois décennies s’étendant des indépendances des années 1960 jusqu’à la fin des années 1980. Qui est Tabu Ley ?
Il est en 1940 à Bagata, dans la province du Bandundu, en République Démocratique du Congo (à l’époque Congo Belge). L’on peut se souvenir de lui comme le roi de la rumba africaine, qu’il avait emmenée à la perfection à partir de son père spirituel Joseph Kabasele Tshiamala, alias le Grand Kalle ou Kalle Jeff, le géniteur de la musique congolaise moderne. Curieusement, Rochereau intégra l’African Jazz du Grand Kalle comme chanteur à temps plein seulement 1959, après qu’il eût fini ses études secondaires, bien qu’avant son intégration, il était impliqué dans l’orchestre à travers la composition des chansons pour le patron. Il se distingua parmi ses paires, les fils spirituels du Grand Kalle (Docteur Nico Kasanda, Baroza, Depuissant, Serge Essous, Isaac Musekiwa et bien d’autres) comme le roi de la rumba africaine. A part les atouts exclusifs à lui (un auteur-compositeur prolifique et flamboyant sur scène), et doté du savoir-faire scolaire lié à la gestion et au discipline, il imita le père en quatre aspects : il fut un grand visionnaire, un chef d’orchestre habile, un meneur chanteur et un politicien. Nous décrirons sa grandeur en analysant les qualités ci-haut indiquées.
1. Tabu Ley fut un grand visionnaire. Il fut animé d’une grande ambition de captiver le monde entier afin de devenir une icône mondiale. Cette ambition se matérialisera à travers le déroulement de sa carrière. Quatre ans simplement après son évolution dans l’African Jazz comme un chanteur permanent, il réalisa que son salaire était trop petit comparé à son immense potentiel. Il décida alors de claquer la porte de l’orchestre et de fonder l’African Fiesta en 1963 avec Docteur Nico. Plus tard, sentant qu’il était né chef, et fatigué de vivre sous l’ombre de Docteur Nico, il se sépara de lui et créa l’African Fiesta National en 1966.
Son rêve de devenir une superstar mondiale commença à devenir une réalité grâce à sa prestation historique à l’Olympia de Paris en 1970 (il est la première personne venue du sol africain à avoir l’honneur de se produire sur une telle scène mythique) : « 26 prestations endéans 18 jours », selon Rick Vanderknyff (« Terre étrangère: L’ ‘Elvis africain’ quitta le Zaïre en 1988 pour des raisons politiques », dans The Los Angeles Times, 21 août 1995). Cette prestation fut suivie sans tarder par une autre plus courte au Palladium de Londres. Dès lors il était déjà le musicien le plus populaire d’Afrique ; et auréolé de la gloire internationale, il adapta son groupe musical à son nouveau statut en le rebaptisant Orchestre Afrisa International (Afr = Afrique, isa = le nom de sa maison d’édition Isa, et International = l’envergure internationale de sa célébrité). Par aileurs, se servant de l’Afrisa International, il s’envola plus haut, de gloire en gloire, grâce aux chansons telles que Abidjan, Kaful Mayay, Kiyedi et Sorozo. Il atteignit le sommet de sa gloire dans les années 1980 grâce à l’incorporation dans Afrisa International d’une jeune chanteuse nommée M’bilia Bel (qui deviendra la première diva transcontinentale d’Afrique), bien connue à travers les chansons telles que Beyanga, La beauté d’une femme et Twenda Nairobi.
Enfin, à partir de 1988, après avoir divorcé d’avec M’Bilia Bel, et se sentant en voie d’extinction sur la scène congolaise (les fans ayant choisi d’embrasser la version rapide de la rumba de Wenge à la fin des années 1980), Ley choisit de séjourner en exil politique aux Etats-Unis. Il saisit cette opportunité d’accomplir pleinement son rêve de devenir la superstar mondiale en conquérant le marché américain par le mélange du style rumba avec la samba et la world music ; et il récolta un grand succès, qui fut renforcé par son style traditionnel de chanter en plusieurs langues (y compris l’anglais), juste comme il avait appris auprès du Grand Kalle. Ce haut fait fut marqué par l’enrégistrement de deux albums pour le compte de Rounder Records, une maison d’enregistrement basée à Cambridge, au Massaschussets : le premier, Muzina, sorti en 1994, fut un immense succès en Amérique et en Afrique ; tandis que le second, Worldwide Africa, sortie en été 1995, est la nouvelle version de ses chansons classiques et est destiné à célébrer les 35 ans de sa carrière professionnelle (Rick Vanderknyff, ibid). Il fut couronné avec non seulement une demande considérable de sa musique sur le marché américain (Ley est le premier Congolais à conquérir l’Amérique de cette manière) mais aussi avec des tournées intercontinentales, en commençant avec la production de son groupe « de manière constante dans les boîtes, les salles de concert et aux festivals aux Etats-Unis » ; il culmina avec des concerts en Europe, en Afrique et au Japon (Ibid). Raison pour laquelle il fut proclamé « icône mondiale » par les chroniqueurs internationaux de musique en 2000.
2. Ley fut un chef d’orchestre habile. Naturellement, il est le porte-flambeau de l’école d’African Jazz après l’éclipse du Grand Kalle dans les années 1970. Cette école (c-à-d la rumba « classique », qui est différente de la rumba « odimba » du TP OK Jazz de Franco Luambo) est marquée par le rôle pivotant de Docteur Nico avec le genie de son guitarr solo. Néanmoins, Rochereau compris l’humeur de la fin des années 1960—qui est dominée par le rock et le pop avec leurs concerts chauds, massifs en plein air—et apporta des innovations à la rumba classique. Ces innovations, comme Graeme Ewens l’affirme, « incluèrent l’introduction de la fanfare, les arrangements éclatants avec beaucoup de cuivres et des changements dynamiques de rythme, des pas chorégraphiés pour les musiciens et une troupe de danseuses » (Africa O-Ye : A Celebration of African Music. With an Introduction by Manu Dibango, London : Guiness Publishing, 1991, p. 135). Par ailleurs, il est l’auteur d’un rythme à deux phases; la première étant celle de vocales et de choeur, tandis que la seconde (le climax) étant celle de la danse. De la même manière, il est le père de la flamboyance scènique, que les jeunes générations emmenèrent à des niveaux élevés, au grand plaisir des mélomanes africains. Ces innovations révolutionnèrent la musique du continent en y apportant la chaleur tropicale et en adaptant la frénésie occidentale aux besoins et sensibilités des mélomanes locaux. Elles donnèrent naissance à une nouvelle génération de la musique congolaise par la création en 1969 de Zaïko Langa Langa Nkolo Mboka, qui émergea sur la scène avec une version délirante de la rumba dénommée « soukous » par les chroniqueurs. En plus, son habileté managériale lui permit d’étre élu le président de la SONECA, la société congolaise (zaïroise) des droits d’auteurs-compositeurs et d’artistes.
3. Ley fut un auteur-compositeur prolifique. En ce sens il surpasse tous les musiciens dans l’histoire de l’indusrie musicale du congo, y compris le Grand Kalle. Il est reporté qu’il sortit 3000 chansons, presque toutes des tubes à succès. Ces chansons eurent impact même au-delà des frontières d’Afrique non seulement à cause de leur nature exotique (emmenant la chaleur tropicale d’Afrique au Nord froid), mais aussi parce que, étant chantées également en français, en anglais et en espagnole, leur message purent être perceptibles dans les audiences plus larges de l’Occident, comme exemplifié par le tube Petite Rivière (adapté sur un poème de Léopold Sedar Senghor), avec lequel il ouvrit le concert d’Olympia. En outre, un autre pouvoir de Ley réside dans la diversité de sa thématique. Ainsi, à part la profondeur du lyrisme des chansons d’amour, quelques chansons sont percutantes dans la description de la beauté des cités étrangères, comme Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire, dans Abidjan ; et Nairobi et Mombassa dans Twende Nairobi. D’autres exaltent les valeurs de la femme africaine (comme la fidélité dans le mariage en vue de la stabilité de la famille, malgré le vagabondage sexuel du mari en dehors du lit conjugal), défendues dans Beyanga ; la position plus élevée de la première femme dans le foyer polygamique, louée dans La beauté d’une femme ; une campagne contre les dangers des mariages forcés en Afrique, menée dans Kaful Mayay (vas demander à Mayay) ; et la mort d’un homme et le comportement éventuel du monde autour de lui, décrits dans Mokolo nakokufa.
4. Ley fut un meneur chanteur. C’est un atout confirmé par son charisme parmi ses pairs, subordonnés et fans. Comme Kalle Jeff sa première voix (tenor) fut dominante dans l’orchestre, bien que, contrairement à son père spirituel, elle était quelque fois tremblante, alternativement devenant aigue et roque—ce qui contribua à la magie dans sa manière de chanter. C’est pourquoi il fut capable d’électrifier toute audience dans le monde. Bien plus, sa voix était un facteur de stabilité dans Afrisa International, son groupe, puisque ses lieutenants, à l’instar des fans, étaient subjugués et pouvaient facilement capituler à son discipline, comme un soldier vis-è-vis de son captain ; sinon beaucoup auraient pu devenir hautains et quitter sans tarder l’orchestre. Enfin, ce chanteur exceptionnel fut la plus grande inspiration pour les plus jeunes chanteurs, tels que Papa Wemba, Bimi ombale, Evoloko, Manda Chante, Ferre Gola et Fally Ipupa, qui se plaisent à l’imiter.
5. Ley fut un politicien. Il suivit les pas de son père spirituel Kalle Jeff, qui produisit des chansons militantes, telles que Indépendance Cha Cha, Lumumba et Bilombe ba gagner ; et éventuellement il fut nommé Secrétaire à l’Information dans le tout premier gouvernement post-Indépendance de Lumumba. Le président Mobutu condamna Rochereau à l’exil en 1988 pour ses critiques contre le régime. Son album Trop c’est trop sorti en 1990 fut banni comme subversif. Après le renversement du régime Mobutu par Laurent Kabila en 1997, il retourna au Congo pour devenir un acteur politique. Il fut co-opté membre du parlement en 1999, et en 2005 il fut nommé vice-gouvernement de la ville-province de Kinshasa, la capitale du pays—poste dévolu à son parti le Rassemblement Congolais pour la Démocratie à la des accords de paix de 2002. Ceci est la preuve que, à part son don de divertisseur en musique, Rochereau était dévoré par le rêve d’un Congo meilleur, qui est hégémonique, centre nerveu de puissance au coeur d’Afrique. Et il osa exprimer ce rêve à travers la chanson, à son péril. Certainement, tous les musiciens actuels de la RDC doivent apprendre de lui et ennoblir leur manière de chanter en ajoutant aux chansons traditionnelles d’amour des tubes militants destinés à la conscientisation du peuple congolais sur leurs droits humains, civils et politiques. C’est par cette voie seulement qu’ils pourront devenir un moteur du changement en RDC, juste comme Miriam Makeba, Lucky Dube, Yvonne Chaka Chaka et Hugh Masekela le furent pour le changement en Afrique du Sud de l’apartheid à la démocratie.
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